C’est en pensant à Taslima Nasreen, écrivaine du Bangladesh, que Gérard Paris-Clavel pose la question et compose cette affiche/combat pour les Algériennes (d’où les couleurs : rouge, blanc, vert) en 1995.  Deux yeux levés, un regard arraché à une parcelle de visage (décou)vert, coupé par un voile en aplat, un mur d’oppression.
L’image est devenue un papillon que le graphiste continue à distribuer au sein de l’association Ne pas Plier.  L’image (quelque soit sa taille, affiches, cartes postales, autocollants) est éloquente, son interprétation suffisamment ouverte pour qu’elle permette à des individus, à des d’associations (de femmes) d’y projeter leurs luttes contre la discrimination et la violence.
Quand je  regarde cette affiche, je pense à celle d’Anne-Marie Latrémolière et sa figuration de l’invisibilité féminine en bleu et noire, je vois les femmes aux talons de sept lieux de Vanessa Vérillon, toujours en action. Marcher, hurler, porter, danser.
Il faudrait rouvrir les corpus de design graphique et se demander si, depuis Jules Chéret et Léonetto Cappiello, le corps des femmes (voire le corps tout court) ne pose pas problème aux graphistes, beaucoup l’évacuent  et évitent ainsi d’être piégés dans la rhétorique des corps marchandises publicitaires, certains le réduisent à un signe.
Le verso de cette affiche pourrait être l’affiche La Gonfle réalisée par Grapus pour « la farce paysanne » et le théâtre 71, un corps sans retouches, dans la lourdeur et la sensualité d’une femme enceinte. Une image censurée par la RAPT. Un corps débordant de chairs et des cadres. Un buste sans visage. Outre la paille grivoise, l’indécence réside justement dans l’absence du regard de la femme. Son absence est ici assumée. Pourquoi se leurrer sur le plaisir que procurent les images? Manet a peint la nudité et le regard soutenu d’Olympia.  Les deux affiches par contrastes parlent des femmes, du corps, de regards… du pouvoir des femmes et de l’acte créatif.
Qui a peur d’une femme ?
Sur les vingt-quatre affiches récompensées d’un premier prix à Chaumont (l’affiche de Paris-Clavel a été primée en 2000), le verdict des chiffres façon Guerrilla girls n’étonne guère (vingt-un hommes et deux femmes : Annick Troxler en 2008, Esther Noyons en 2009 et un couple, Maureen Mooren avec Daniel van der Meulen en 2007). On pourrait étudier les conditions de la commande et d’accessibilité à une commande d’affiches pour une graphiste. On pourrait interroger un commanditaire : le festival de Chaumont. En 25 ans (excepté l’année 2009 où vingt affiches ont été commandées), à combien de graphistes femmes, le festival a-t-il confié son image? Deux, Catherine Zask en 1994 et Annick Orliange en 1999. Pourtant cette année, Laetitia Casta se « pin up » sur l’affiche de Thomas Bizzarri/ Alain Rodriguez (affiche générique de l’exposition d’affiches françaises « C’est affiché près de chez vous ») et Loulou Picasso –l’élu pour l’affiche de Chaumont 2014- peint en grisaille le portrait d’une athlète perdante  (Russe) et d’une gagnante (Biélorusse). (Pour les avertis qui reconnaitraient les visages, il faut lire outre une compétition, une allusion politique).
Non pas que je n’apprécie pas ces affiches, mais que vais-je dire à mes étudiantes ? Coincées entre les rêves et la réalité… statistiquement, elles ont plus de chance de faire un stage qu’une affiche à Chaumont.
Etienne, il te fallait provoquer avec cette photo de Life pour annoncer le 17 janvier sur Facebook le concours international du festival. Des belles femmes, la bouche entr’ouverte, le trophée (n’est-ce pas la ville de la chasse, Chaumont ?) à la main. Et leur squelette en écho, pour rappeler la raison pour laquelle elles ont gagné ce concours, leur vanité. Un concours de beautés, un concours de chiropractie (de 1956), un concours d’affiches : un même tableau de chasses, frivole et inconséquent ?  
On pourrait aussi dénombrer le nombre de femmes participant à ces jurys.
Dans cette discipline, où l’on entend parler sans cesse du signe, de l’indice, du message… les stéréotypes sont si puissants (et souvent- j’hésite entre- affligeants et ennuyants). J’ai toujours aimé les pigments, les académies, les déchirements. Artemisia Gentileschi et Anthon Beeke. Les grands écarts. Regarder les images. Le design graphique se lit beaucoup à travers le regard des femmes. Les Catherine (s), Ellen, Annick, Alice, Roxane, Muriel, Emily...  affûtent leurs mots, déploient leur pensée, elles participent à donner une visibilité et une contenance à ces hommes d’exception.  (Chaumont/Village/Invités /Utilisation des prénoms).
Cette photo anodine de Life de Wallace Kirkland ouvre une brèche (et l’humour comme les œillières féministes partagent l’art des glissements dangereux), celle de la complexité des états d’âmes féministes. Surtout à l’invitation de Marie et avec Susanna, l’indomptable, qui se démène toujours contre les grilles,  qui répartit les coyotes pour structurer les chapitres du catalogue d’exposition Joseph Beuys (centre Pompidou, 1993) et qui plante Niki de Saint Phalle, fusil à la main en couverture du catalogue elles@centrepompidou (2009), avant que cette couverture ne soit censurée. Dans cette brèche se réveillent les voix, par définition féminines et plurielles. Dans ses voix, l’œuvres et les mots de Simone (s), de Françoise, de Marguerite, de Julia, de Joyce…. J’attends d’aiguiser mon regard et à ma pensée en face de l’œuvre graphique (et les affiches) des femmes. Cela tarde. Trop.
Dans l’affiche de Gérard Paris-Clavel, s’avancent un espace interrogatif et un territoire permanent invitant à la vigilance, à l’érudition et au pragmatisme quotidien. Le territoire de la peur… Qui a peur du design graphique? De quoi, le design graphique a-t-il le plus peur ? Du contexte de la commande ? ou de lui-même ? De ses zones d’ombres.
Ombres, mot féminin pluriel(les).

 

 

 

Les pré - noms : Étienne Hervy, Marie Hervy, Susanna Shannon,

Catherine de Smet, Catherine Guiral, Ellen Lupton, Annick Lantenois, Alice Twemlow, Roxane Jubert, Muriel Paris, Emily King....

Simone de Beauvoir, Simone Weil, Françoise Collin, Marguerite Duras, Julia Kristeva, Joyce Carol Oates