Substituant les abats-sons du clocher de l’église Saint-Pierre par sept lames de verre colorées, Evariste Richer conçoit un prisme1 et génère un dégradé arc-en-cielisé se déplaçant entre les points cardinaux de l’église romane. À l’extérieur, par son clocher, l’église se signale comme un repère actif, différent, quittant sa beauté séculaire pour troubler, presque avec une fraîche candeur, la cité de 5900 habitants. À l’intérieur, Le Métaprisme agit, il diffuse des plans chromatiques sur les quatre murs à la croisée du transept. En fonction de la luminosité, de l’heure, de la saison, les surfaces irisées changent d’aspect. Elles vibrent au son du soleil. Elles modifient les parois en pierre et l’humeur contemplative. Avec une fonction inversée, les abats-sons, habituellement amplificateurs pour l’extérieur, intériorisent la voix lumineuse pour les « fidèles », ceux et celles qui passeront le portail d’arc brisé. Depuis 1975, l’église n’est plus affectée au culte, elle accueille notamment des expositions d’art contemporain (dont une, remarquable pour cette biennale), cette œuvre - une commande publique- renouvelle les correspondances entre pratique artistique et sacré. À la manière d’Evariste Richter, au minima : l’intervention millimétrée parait dérisoire mais la force de la résonance interpelle. La « résonance » selon Hartmut Rosa. « Les effets transformatifs d’une relation de résonance échappent constamment et inévitablement au contrôle et à la planification des sujets ».
Le Métaprisme, une œuvre épiphanie, dans un lieu - soumis à la majestueuse humilité romane- de réception et de communion. Comment un.e artiste parvient à émouvoir l’autre ? Comment « une » vision (me) fait toucher l’ineffable ?
Cette sculpture installation décompose la lumière d’après une étude technique et scientifique, qu’elle soumet aux conjectures météorologiques pour créer des espaces picturaux teintés d’égnimatisme fascinant. Surpassant ainsi les effets des vitraux sans aucun vitrail. Cette expérience de la résonance fait écho à celle provoquée par les symphonies colorées des vitraux de Marguerite Huré rencontrant la rudesse des parois de béton et le sol de l’église Saint-Joseph. Mais les éclats colorés d’Evariste Richer sont toujours unis, ils conjuguent la force d’une inscription pérenne à l’expérience perceptive de l’effacement (la peinture projetée se transforme constamment). À l’extérieur, un signe stable, à l’intérieur, une captation lumineuse se révélant insaisissable.
L’identité graphique du studio Charles Villa reprend l’idée d’un prisme lumineux, continu, variable, qu’elle intensifie en mettant en point de focal l’empreinte argentée d’une branche d’ortie. L’ortie a été choisie comme emblème et relai de la pensée du paysagiste Gilles Clément ( son bassin Jardin d'eau - Jardin d'orties, 2007). Dispersées, les affiches telles des feuilles, en contraste et en dégradé jaune bleue, ravivent les murs mellois. Le vert apparaît parfois ou est traité quasi comme une couleur subliminale.
(CF: Frédéric Teschner a conçu le premier catalogue monographique d’Evariste Richer, double et méta, Slow Snow pour les éditions B42 en 2009.)
Evariste Richer assure le commissariat de cette dixième biennale.
Cette édition en impose, sans grandiloquence, parce qu’elle ne mise pas sur les bornes spectaculaires, elle égrène des instants silencieux, odes minuscules à des contemplations ressourçantes. La biodiversité comme contexte et invitée se réinvente au gré et au milieu des gestes artistiques.
En guide, nu, fragile, marchant inlassablement, herman de vries. L’artiste offre dans des formes simples et par emprunts de fragments naturels, des voyages intérieurs : ainsi de son rond, rosace au sol, un cercle de dévotion constitué de cinquante kilos de pétales de rose. La respiration régénère.
Ailleurs, on circule sous un plafond de chardons séchés, ramassés dans les environs de Melle (Jan Kopp).
Evariste Richer a sélectionné des petites parcelles de résistances (artistiques), des constellations de presque-rien, ces à-peine-vus de notre environnement et de notre quotidien, élevés au rang de champs poétiques, magnétiques (Lois Weinberger). Parfois des bottes contestataires (Bruno Serralongue) .
Nous merveillons respecte une cohésion d’ensemble, un contexte rural, l’idée d’un univers végétal, toujours responsive, joyeusement sauvage.
À l’hôtel Ménoc, les toiles de Terencio González ravivent d’une autre manière que Le Métaprisme, la nécessité d’être tenu en flottement lumineux. Ses toiles sont présentées dans un périmètre de tension entre les courbes urbaines de Saâdane Afif et les affiches - des questions inutilaristes - d’Allen Ruppersberg. Au sommet de l’hôtel, les tissages Jacquard de Mona Cara, avec lesquels, la jeune artiste suspend les pas des visiteurs, hésitant entre le rythme joyeux de génériques enfantins ou le rythme inquiétant et alertant d’une dérive abyssale.
À l’église Saint-Pierre, au sol, les deux installations mêlées de Linda Sanchez & Baptiste Croze : Roulé - boulé , une constellation de ballons en plastique, trouvés, récupérés sur la côte Méditerranéenne et La mesure du plomb, cent empreintes et moulages des index de l’équipe technique melloise. Dans Roulé - boulé, Linda Sanchez & Baptiste Croze prélèvent dans le bleu berceau de la civilisation, ces objets d’échanges, ces bulles d’insouciance (tout aussi polluantes qu’innocentes, divertissantes que capitalistes). Au sol de l’église, cette mer plastique évoque également les flux migratoires, chahutés, fossilisés. La mesure du plomb crée un chemin de circulation, à peine visible, un chemin à la gravité structurante, celle des faiseurs et accompagnateurs d’art anonymes, une danse à fils tendus d’une communauté œuvrant.
1.Par traversée de l’oculus du cœur de transept.
Nous merveillons. Biennale internationale d’art contemporain de Melle.
Evariste Richer, Artiste-commissaire de la biennale 2024
Marion Vézine, coordination artistique.
https://biennale-melle.fr/fr/