Parade 

 

Exposition 

Biennale internationale de design graphique 2023, organisée par le Signe, Centre national du graphisme, du 24 mai au 21 octobre 2023.

Exposition parade

 

exposition Chaumont

 

Directeur du Signe : Jean-Michel Géridan 

Scénographe : Pernelle Poyet 

Chargée de production : Gabrielle Ponthus 

 

Graphistes exposées : 

Coline Aguettaz

Atelier 25 - Capucine Merkenbrack et Chloé Tercé 

Manon Bruet

Line Célo 

Aurore Chassé 

Sophie Cure 

Agnès Dahan Studio avec Raphaëlle Picquet 

Espace Ness (Émilie Ferrat, Julie Héneault et Sophie Rentien Lando)

Margaret Gray

Catherine Guiral 

Claire Huss 

Ich&Kar (Helena Ichbiah)

Maroussia Jannelle 

Marion Kueny 

Félicité Landrivon

Anette Lenz 

Véfa Lucas

Sarah Martinon 

Roxanne Maillet

Morgane Masse 

Fanette Mellier 

Clémence Michon 

Marie Pellaton 

Marie Proyart 

Susanna Shannon

Lisa Sturacci 

Valérie Tortolero 

Sylvia Tournerie 

Stéréo Buro (Diane Boivin, Silvia Dore) 

Julie Rousset & Audrey Templier 

 

 

Déploiement

La première exposition Variations épicènes (septembre 2020) répondait à une demande de la MABA (Maison d’Art Bernard Anthonioz) : penser une exposition collective de graphistes femmes. Elle s’articulait autour de deux trames principales : sept projets aux genres graphiques variés articulés dans sept salles et révélant le travail de recherches, conséquent et singulier, de sept graphistes. Une deuxième trame rassemblait d’autres projets réunis dans un cabinet de documentation, antichambre de l’exposition ou fabrique de l’histoire. Au Centre national du graphisme, forteresse de la discipline, il s’agit de déployer sur son plateau, un ensemble de projets graphiques conçus par des graphistes françaises. Un ensemble généreux, assumant sa densité et témoignant de la contribution de ces graphistes à la culture et à la société française. La liste de graphistes a été augmentée, elle est conséquente et loin d’être exhaustive. La liste assume le débordement. Elle tend à devenir vertigineuse, comme une colonne sans fin, un monument indiscipliné, où l’index – dans les livres, l’index renvoyant à des noms de femmes est toujours en-deçà du réel – serait un annuaire mouvant, qu’on ne peut contenir.

Martha Scotford, historienne américaine du design graphique, dans un texte de 19941 – on sera toujours en retard –, mentionne que l’histoire du design graphique pour traiter de la question des femmes peut avoir une approche « messy », bordélique. Et pour cause, depuis des décennies, elles ont peu intégré les rangs et les lignes de l’histoire et des expositions.

 

Parer Un habillage visuel, un emballage séduisant, une surface de protection, une identité variable, un art au service de…, un genre mineur, un substrat décoratif… : au quotidien, le design graphique se heurte aux qualificatifs péjoratifs et aux définitions imprécises. C’est peut-être pour cette raison que Cassandre (1901-1968) avait choisi un nom de scène (graphique) épicène, aux accents dramatiques, qui présageait les tourments et les difficultés. Un·e graphiste prend des coups. Iel défend vaille que vaille sa composition pour que celle-ci émerge dans une société du spectacle ultra formatée, verrouillante, où une mécanique marketing a tout intérêt à ce qu’un·e graphiste pense peu, qu’iel dépense moins. Tous les projets présentés ici (réels ou provoqués pour l’exposition) ont un lien ineffable : chacun est un « cheval de Troie2 », un objet graphique où la graphiste a poussé sa grammaire, son vocabulaire, ses « matériaux bruts », souvent sur un territoire quelque peu hostile, au mieux indifférent. Où, elle a enveloppé ses convictions, des ambitions et ses utopies. Rien de spectaculaire, le presque rien de la force inhérente au partage du sensible. En cela, chacun de ses objets mérite une attention particulière. L’exposition permet un espace de repli, un temps de concentration que l’on propose de passer avec ces objets de design graphique. Lire, comprendre, considérer sont au coeur de l’installation scénographique, confiée à Pernelle Poyet.

 

Contrer Les expositions collectives, exclusives de femmes sont un non-sens. Une création au féminin, spécifique, n’a jamais fait ses preuves. Et encore moins en design graphique, où contextes de commandes, diffusion publique, travail en collectif font éclater toute caractéristique intrinsèque. Ces expositions sont problématiques pour les artistes femmes depuis la fin du 19e siècle. Elles ponctuent malgré tout, notre histoire oublieuse. Elles sont, malgré tout, nécessaires. Sur leur temps d’existence, elles reçoivent – à juste titre – beaucoup de critiques, mais après coups, elles s’avèrent être de précieux outils – des outils contraints, mais libérateurs –, des sources de documentation, des ouvertures sur des créations ou des questionnements peu, mal ou in-connus. Elles permettent d’élargir l’éventail des connaissances et de réduire le gouffre de la disparition qui aspire le travail des autrices. Il faut inventer et entretenir la parade : comment retenir le design graphique de son enfouissement, de sa disparition ? Comment faire en sorte que les objets des graphistes ne restent pas silencieux, qu’ils nous parlent de la société qu’ils activent, de leur processus à l’oeuvre? Qu’éprouva l’affichiste Jane Atché (1872-1937) quand elle vit, en 1896, le premier tirage de son affiche pour le papier à cigarette Job ? Qu’enfermait Claudette Duparc (dates ?) quand elle engrillagea l’ombre d’une femme sur la couverture du Lys Rouge d’Anatole France pour le Club Français du livre en 1955 ? Que mit en place en 1959, Sylvie Joubert (1923 ? - 1973 ?) quand son studio prit l’unique nom « Atelier Joubert » et ne fut plus accolé à celui de Cassandre ?

 

 

Nous pouvons faire des suppositions, relier des arguments, mais les archives manquent pour que les réponses soient assurées. Face à ces graphistes du siècle passé, si proches, l’historien·ne se retrouve démuni·e, dans une position qu’explicite Arlette Farge face à l’archive des femmes : « la retrouver comme on recueille une espèce perdue, une flore inconnue, en tracer le portrait comme on répare un oubli, en livrer la trace comme on exhibe une morte3 ». Pour que l’histoire de la discipline ne soit pas hantée par autant de dossiers Jane Doe4, d’enquêtes impossibles, la logique des expositions Variations Épicènes évoque l’importance pour ces graphistes et les institutions d’une prise de conscience, de protéger et de documenter leur travail.

Une parade, en nombre, bigarrée, désordonnée, pour ce trentième rendez-vous à Chaumont.

Une action momentanément collective : toutes ces graphistes, ensemble.