Submitted by marjorie_ober on Thu, 09/24/2020 - 18:31
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Collection « petite planète » (Seuil) sous la direction de Chris Marker de 1954 à 1964.
Mise en page : Juliette Caputo.
Le cartel est une photographie de l’exposition Chris Marker à la cinémathèque française en mai 2018.

Une analyse de la collection et notamment pour ses qualités graphiques, iconographiques et cinématographiques est lisible sur :  https://chrismarker.org/chris-marker-2/petite-planete/

Au détour d’une bibliothèque lire un Petite planète, au hasard, pas tout à fait, Gauguin n’était pas loin. Lire, médusée, mot après mot, le chapitre Vaines Vahinés et vérifier plusieurs fois que le texte date de 1960, de l’époque de la Nouvelle Vague.

Un « homme intelligent » dixit le cartel de l’exposition à la Cinémathèque invite à comprendre, - aux hommes ? occidentaux ? voyageurs?  fortunés dans le sens chanceux?-  comment saisir les moeurs de ces vahinés, « vaines », prêtes à se donner "pour une bicyclette".

Extraits :
« Peut-être obtiendrez-vous de la soumission si vous savez vous servir à l’occasion de vos poings pour illustrer vos qualités de mâle (…) ».
« Nul besoin d’une cour prolongée; nul besoin non plus de ces caresses mièvres qui font perdre du temps. Plus ce sera rapide, mieux cela vaudra ! Dans les tréfonds de son subconscient réservés à Éros, la tahitienne a bien gardé la mentalité primitive. En principe, durant le jour, les manifestations galantes sont rares ou très discrètes. Tout se passe la nuit, et le viol (tacitement consenti bien entendu) est la forme d’amour qui semble s’accorder le mieux avec les passages des mers du Sud… ».

Petite planète est un guide pratique qui donne des indications concrètes. Pour la destination Tahihi, les recommandations sont clairement voluptueuses. L’auteur du guide remarque l’indépendance libertine de la Vahiné « le plaisir qui passe devant elle est sa loi », mais regrette sa cupidité...

Heureusement, les expositions ne proposent à l’oeil que des couvertures, laissant l’imaginaire suivre cette « révolution éditoriale » sans s’interroger avec des digressions anachroniques.

D’une certaine manière, le texte Vaines Vahinés explique en creux la mythologie autour de ces portraits de femmes, couvertures-séduction. « Les vahinés sont probablement parmi les plus belles femmes de notre planète, du moins de treize à vingt-cinq ans. Après quoi leur tendance ancestrale à l’embonpoint très admiré jadis, prend le dessus; leurs seins alourdis par de nombreuses maternités se déforment et leurs traits s’empâtent ».

Toutes les femmes de ces couvertures, invitations aux voyages ne sont ni enlaidies par la maternité, ni par la fatigue, ni par les déceptions. Elles laissent l’imaginaire et le désir vagabonder. Elles n’ont pas le visage miné, ridé, marqué. Elles ont l’âge de tous les possibles où la moindre rencontre peut devenir une ensorcelante intrigue. Elles sont des promesses, des couvertures-aventures. Elles contribuent à la diffusion d'une plate-forme planétaire des fantasmes.

« En ce qui concerne les couvertures-portraits, on peut être tenté d’en trouver l’origine chez Michaux, auteur du poème «La Jetée» dont le titre deviendra un court métrage célèbre en 1962, dans Passages: «Un pays où les jeunes filles sont belles: bon pays. Pays où l’on a su vivre. L’espèce humaine y fut une réussite. Ce n’est pas rien.Dans le visage d’une jeune fille est inscrite la civilisation où elle naquit (…)»[8] » (https://chrismarker.org/chris-marker-2/petite-planete/))

Sur le visage d’une jeune femme s' inscrit le sceau du désir, glissent des projections pures. On ne risque pas d’être déçu (du voyage).  Le lisse grain de la carnation de la jeune fille se vend éternellement bien. La jeunesse se livre, telle une offrande silencieuse. La couverture est un leurre (mis au féminin). « Lors que vous débarquez, ébloui, sur les quais de Papeete, n’oubliez pas que la cohorte de belles filles qui monte à l’assaut du navire - par une passerelle et non pas à la nage comme du temps de Bougainville -, ne représente en rien l’aspect moyen de la vahiné des îles. (….).  Ne soyez donc pas trop déçu dans vos tournées… »

J’avais vu une belle jeune femme, libre, musicienne, cheveux au vent, l’annonce des années 1970. J’ai lu. Les mots rapetissent et écornent l’aventure éditoriale.

« Contrairement à la plupart des femmes de couleur, la vahiné est rigoureusement propre, d’une façon qui confine à la manie. Elle passe son temps à se doucher, à oindre ses cheveux de monoï… ».

Qu’ai-je lu des romancières de Tahiti ? Aucun mot en contrepoint.

Poursuivre :
Marie Vieux-Chauvet, Amour, Colère et Folie, Zulma, 2015
Et l’article Bons Baisers de Bousbir de Solène Langlais.
https://lundi.am/Solene-Langlais

Petite Planète